Dialogue avec les responsables de “Culture et Territoires”

Dialogue avec les responsables de “Culture et Territoires”/ / télécharger en format pdf

Après la soumission du projet de recherche, les responsables du programme “Culture et Territoires” ont posé des questions relatives à la dimension territoriale de l’étude. À  la suite de nos réponses, le projet a été sélectionné.

  • 1 Le « positionnement [du projet] par rapport aux thèmes de l’appel d’offres » mériterait d’être plus explicite, notamment quelle justification a priori au choix de l’Ile-de-France pour cette recherche ?

Dans la mesure où nous répondons plus loin à notre positionnement par rapport aux thèmes de l’appel d’offres, la réponse ci-dessous concerne le choix de l’Ile-de-France L’ile-de-France, seule véritable métropole française, se caractérise par une extrême concentration de ressources et d’équipements culturels. On y retrouve les modalités les plus courantes de l’action publique en matière de musique, à savoir le fait de déléguer à des lieux de proximité le soin de proposer des musiques de qualité nationale (c’est-à-dire extra locales). La plupart de ces équipements ont des missions qui s’exercent dans différents niveaux (parfois plusieurs) du territoire républicain (commune, département, région). À ce foisonnement de lieux publics s’ajoute la variété des styles musicaux qu’on y promeut.
En sus, la centralité parisienne vient complexifier cet édifice car nombre d’équipements parisiens n’ont pas seulement pour mission de présenter de très bons spectacles musicaux aux habitants de la région-capitale mais aussi de représenter la politique culturelle publique elle-même. C’est par exemple le cas de la “Philharmonie de Paris” qui sera implantée à La Villette, sur le site de la Cité de la Musique, et qui a pour  double ambition d’attirer un public venu de toute l’Ile-de-France et d’être une vitrine internationale1.
Dans la mesure où notre projet a pour vocation d’envisager les interactions entre les types de prescriptions et de sociabilités liés à Internet et les équipements publics répartis sur le territoire et que, par ailleurs, nous nous intéressons aux implications territoriales de la blogosphère, la diversité des situations institutionnelles et des types de territoires en Ile-de-France nous parait constituer un terrain riche et fertile.

  • 2 En quoi l’objet choisi est-il spécifique ou emblématique de la « métropolisation » ?

Il existe un grand nombre de définitions de la métropolisation. Celle-ci peut être notamment définie comme l’accumulation dans un territoire donné de ressources économiques, de personnes, de bâtiments, d’équipements, de technologies, de réseaux de transports et de flux d’informations, une sorte de confluence. L’un des aspects les plus marquants de ce processus à l’heure actuelle est sans conteste le développement d’Internet et son corollaire la numérisation des contenus. Ce réseau a posé les bases d’un nouvel espace au sein duquel les informations circulent selon des modalités temporelles et spatiales différentes que dans l’espace physique décrit par la topographie. Cet espace se définit notamment par le fait que l’éloignement entre les personnes est pratiquement aboli, que les communications peuvent tendanciellement se dérouler en direct et que les échanges sont facilement stockés et donc consultables. Conséquemment, cela signifie qu’il est non seulement aisé de se regrouper autour d’intérêts communs mais aussi de diffuser des recommandations à autrui. De ce point de vue, en enquêtant sur la blogosphère musicale, on documente cette composante essentielle de la métropolisation des sociétés, l’Internet, et on aborde des nouvelles pratiques culturelles qui, bien qu’elles concernent un nombre considérable d’usagers, sont encore peu repérées.
Cela étant posé, quelle est la spécificité d’Internet au sein de ce processus de métropolisation ? À notre sens, c’est de contribuer à un diversification spatiale, un élargissement du périmètre au sein duquel les personnes et les contenus transitent. En effet, via Internet, un-e internaute francilien-n-e peut aisément converser et tisser des liens avec des personnes résidant dans une autre région française, surfer sur des sites animés par des personnes dont il ne connaît pas nécessairement la langue, télécharger des contenus en se référant à des images ou à des sons plutôt qu’à des textes, intégrer un groupe de discussion thématique et international, etc. L’internaute a donc la capacité de “s’évader » de la métropole où ils réside, travaille et circule physiquement. D’une certaine façon, on peut considérer ce phénomène de déplacement comme une sorte de délocalisation. Délocalisation, qui pour le sujet qui nous occupe, concerne aussi bien la prescription que la consommation de musique(s).
De ces deux constats découle une perception particulière du processus de métropolisation que cette étude pourrait contribuer -à son échelle- à préciser.

  • 3 Plus généralement, quel est ou quels sont précisément les enjeux d’une telle recherche par rapport aux questions posées dans l’appel à propositions de février 2008 ? Autre question : l’aspect « territorial » du projet est-il essentiel ou pourrait-on plus ou moins s’en passer ?

Dans notre réponse à l’appel d’offres, nous avons proposé de traiter principalement deux questions, à savoir les “mécanismes de la prescription culturelle dans un univers métroplitain” et “la dimension culturelle du développement économique des territoires”. Pour ce qui est de la première question, cette recherche a pour objet de comprendre comment des plate-formes telles que les blogs et les forums musicaux peuvent devenir des outils de prescription fédérant des audiences et générant des formes de sociabilités inédites. De ce point de vue, il nous semble que le premier enjeu de cette recherche est de nourrir la réflexion sur les formes de prescription culturelle notamment en confrontant ces formes émergentes avec les modalités actuelles de la prescription publique inscrite dans les territoires, principalement déclinées dans des lieux de spectacles et confiée à des programmateurs professionnels.
En ce qui concerne la deuxième problématique, il nous semble que l’enjeu est de comprendre ce que ces innovations -souvent mises au point par des non-professionnels et dans la sphère domestique- nous indiquent sur la créativité sociale et si elles peuvent éventuellement constituer des ressorts (ou des modèles) pour le développement (culturel) d’un territoire.
Plus généralement, cette étude pourrait contribuer à rendre patents des échanges dont on peut supposer qu’ils auront un impact tant sur la prescription culturelle que sur l’économie de la culture (Cf. les impacts du Peer to Peer).

L’aspect territorial
Au lieu de considérer la blogosphère comme un espace séparé, nous postulons que ces activités peuvent induire une dynamique proprement territoriale et qu’il serait intéressant de repérer de quelle manière celle-ci se traduit. Par exemple, l’activité en ligne peut provoquer des déplacements des usagers à l’occasion de leurs connexions, amener à des regroupements de personnes résidant dans des zones proches, elle peut inciter des personnes ayant développé une compétence en informatique à tenter d’en faire un métier. On peut aussi imaginer que des objets “territoriaux” deviennent des enjeux en ligne comme par exemple le fait que des blogs et des forums évaluent des politiques culturelles locales. Réciproquement, on peut penser que les formes d’expertise en ligne pourraient être prises en compte dans les politiques publiques et que le périmètre de celles-ci en soit modifié. Plus généralement, en documentant une nouvelle forme de prescription et de consommation culturelle de la musique en ligne, nous espérons contribuer à alimenter le débat sur les notions de territoire et d’espace public.

  • 4 A ce titre, est-il possible d’argumenter davantage et de développer le ou les liens supposés entre blogs et/ou forums et « impact » local ou territorial (ou dimension locale ou territoriale) ? Quelle(s) hypothèse(s)est la nature de ce lien : influence directe (investissement, désaffection, marginalisation…), influence indirecte (programmation) symétrie (création de lieux « miroirs »), génératif, ? S’agit-il d’un lien causal, rétroactif, systémique ? Il ne s’agit là que de suggestions

Dans l’introduction de notre projet, nous avons mentionné qu’il nous semblait que l’expertise en ligne est susceptible de s’intéresser non pas seulement à des musiques enregistrées mais aussi à des spectacles et  notamment à la politique publique en matière de musique telle qu’elle se décline dans les différents niveaux du territoire républicain. Même s’il est difficile de prévoir les formes que pourrait revêtir ces expertises, on peut néanmoins proposer quelques hypothèses.
-On pourrait se retrouver par exemple en face de sortes “d’associations de consommateurs” en ligne testant et évaluant la qualité et la conformité de l’offre publique de spectacles près de chez eux et/ou dans des périmètres plus larges, associations qui pourraient constituer des partenaires pour les professionnels chargés d’animer et de financer les dispositifs publics ; élus à la culture, responsables des affaires culturelles dans les communes, chargés de mission des départements et des DRAC, programmateurs, etc. Bien entendu, ces regroupements pourraient également s’opposer aux politiques publiques et proposer des alternatives.
-On peut également penser à des extensions de ce que l’on trouve actuellement sur certains sites Internet de scènes publiques de rock, à savoir des forums de discussions (éventuellement à dimension participative) où les spectateurs confronteraient leurs impressions, discuteraient les programmations, orienteraient vers des sites où l’on peut écouter la musique d’un artiste programmé etc..
-Variante plus systématique de l’exemple précédent, on peut également imaginer des blogs ou des forums à vocation pédagogique, accompagnant les programmations locales par des éléments d’histoire sur le genre musical, la discographie des artistes, les ouvrages et les textes disponibles etc.. Cette hypothèse semble d’autant plus probable que nombre de personnes animent déjà des sites consacrés à l’histoire d’artistes ou à des courants musicaux.
- Une autre possibilité -parallèle à la politique publique- consiste dans le fait d’utiliser des blogs et des forums  pour relayer des initiatives des programmations menées en dehors des circuits subventionnés voire professionnels. De tels blogs existent déjà et pourraient devenir des relais, en concurrence avec la presse, de l’actualité culturelle. On peut aussi imaginer l’apparition de webzines musicaux à vocation locale.

  • 5 Pour répondre aux 2e et 3e questions principales du projet (Pourquoi et comment sont créés, animés et fréquentés ces sites musicaux ? Quelles sont les dimensions territoriale, culturelle et économique des pratiques engendrées ?), pourquoi le « terrain » des programmateurs publics, des équipements publics et des événements concernés a priori par l’analyse ne sera-t-il pas apparemment exploré ? Autre question liée : comment les chercheurs comptent apporter des premiers éléments de réponse à la 3e question posée dans leurs objectifs (Quels effets ces pratiques numériques, qui s’insèrent dans la « redéfinition en cours de l’espace public », produisent-elles sur la prescription musicale publique offerte, c’est-à-dire sur l’offre de contenus musicaux proposée par les structures de diffusion aidées par le contribuable ?)

Cette objection nous paraît pertinente d’autant que nous avions envisagé, au moment de la conception du projet, de consacrer une partie de notre recherche non seulement à l’observation des sites Internet d’institutions publiques mais aussi à des entretiens avec les responsables des lieux et/ou des sites. Nous avons donc décidé d’élargir notre panel et d’y inclure des acteurs des politiques publiques. Ci-dessous le descriptif du déroulement de cette phase.

La prescription publique en Ile-de-France et son usage de la Toile
La seconde phase de l’étude de terrain consistera à examiner la façon dont des institutions publiques, situées en Ile-de-France et dédiées à la musique, recourent au Web et le cas échéant impliquent les usagers. Pour cela, on s’intéressera à des structures situées à Paris et dans d’autres départements, dotés de missions différentes tant en termes de rayonnement territorial que de style musical.
-Une salle publique dédiée aux musiques actuelles et aux musiques improvisées située à Paris 11e, le Mima (Ouverture prévue à l’automne 2008).
-La salle de concert de musique classique dite “Philharmonie de Paris“ qui sera construite à La Villette à Paris (Ouverture prévue en 2012)2.
-Une association départementale publique de soutien à la musique (un contact a été pris avec le Service  Musique et Danse du Département des Yvelines)3.
-Le CAC Georges Brassens de Mantes La Jolie (78), une salle généraliste qui, outre du théâtre, programme toutes sortes de musiques (acoustiques, folk, théâtre musical, classique, chanson…) et accueille de nombreux d’ateliers destinés à des amateurs.4
-Le Festival d’Ile-de-France (financé par la Région du même nom), où voisinent diverses esthétiques musicales, et qui se déroule chaque année) durant les mois de septembre et octobre et dans toute la région (Paris compris)5.
On notera que les deux structures parisiennes sont en devenir et que l’une d’entre elles (la Philharmonie) est un établissement à vocation internationale.
Comme pour la partie de l’enquête consacrée aux francilien-n-e-s investi-e-s sur le Web, le travail comprendra deux phases distinctes, une série d’observations de sites puis des entretiens.
L’observation sera centrée sur les types de contenus proposés aux usagers des structures et/ou équipements sur leurs sites Internet ; programmes d’événements, ressources, annonces, consultation de documents, informations destinées (ou pas) aux professionnels, mise en ligne de débats et décisions, forums de discussion, possibilités de dialogues etc… De façon concomitante, on s’intéressera à l’ergonomie des sites et une attention particulière sera portée à l’archivage des contenus et à leur accès.
Des entretiens semi-directifs approfondis seront conduits avec les responsables et/ou les personnes en charge de la conception/gestion des sites. Pour les deux structures parisiennes (Mima et La Philharmonie) on interrogera notamment leurs responsables sur la façon dont les usagers ont été ou seront associés à la conception et au fonctionnement futur de ces lieux.
À l’issue de l’enquête, on tachera de répondre aux questions suivantes :
Qu’en est-il de la place attribuée au Web et aux usagers dans les équipements et structures publiques observées ? Peut-on discerner une différence quantitative et/ou qualitative en fonction du style musical ?  Comment s’articule la mission territoriale des structures et leur(s) usage(s) du Net ? Est-ce que ces missions incitent les structures à délaisser ou à développer les réseaux en ligne ? Peut on constater un usage du Net différent selon que l’on est situé à Paris ou dans un autre département de la région ? Dans un contexte de crise de la “démocratisation culturelle” et alors que nombre de responsables de salles de spectacles définissent les équipements qu’ils gèrent comme des sortes de sanctuaires contre l’industrie culturelle et la globalisation de la culture, peut-on discerner une résistance aux réseaux numériques et si oui quelles justifications sont déployées ? Qu’en est-il de la prise en compte de la blogosphère par les lieux publics, peut-on observer des dialogues plus ou moins formalisés entre plate-formes autonomes et lieux publics et plus généralement le Web est il considéré comme un outil d’évaluation de la politique d’un lieu ? Peut-on déceler une influence de la blogosphère dans l’organisation et la gestion des sites ?

  • 6 Quel est le principe de sélection des blogs et des forums musicaux qui feront l’objet de l’enquête ? S’agit-il de viser la représentativité (et dans ce cas comment l’attester) ? Ou, si ce n’est pas le cas, quel sont les critères de sélection retenus et pourquoi ?

Les blogs et les forums étudiés seront choisis en fonction de plusieurs critères :

a) Diversité stylistique et des thèmes abordés
On procédera à un panachage entre des plate-formes thématiques (consacrées à un certain type de musique, une région du monde, des instruments, des performances live etc.) et d’autres plus généralistes. De même, on tâchera d’inclure dans le panel aussi bien des sites commentant l’actualité musicale (sorties des disques, tournées des groupe) et les concerts que des plate-formes à vocation “encyclopédique“, sans oublier des sites plus mixtes.

b) Temps de présence sur la toile
L’ancienneté sur la toile sera également prise en compte. On s’efforcera, en effet, de choisir aussi bien des blogueurs (euses) doté-e-s d’une longue expérience, quasi “institutionnalisés“ dans la blogosphère que des nouveaux venus. Pour déterminer la longévité des plate-formes et leur réputation au sein de la blogosphère, on se référa bien entendu au nombre de messages et de commentaires et à l’antériorité de leur référencement sur les sites agrégateurs mais aussi au fait qu’ils soient recommandés dans les listes de liens d’un panel d’une cinquantaine de blogs internationaux6. Les recherches d’occurrence(s) seront effectuées avec des moteurs de recherche “traditionnels” de type Google mais aussi au moyen du logiciel RéseauLu qui permet désormais de scanner des sites.

c) Langue, genre, habitat
Si la recherche concernera principalement des sites et des locuteurs s’exprimant en français, on s’intéressera aussi à des personnes et plate-formes animées par des personnes résidant en Ile-de-France mais recourant -partiellement ou en totalité- à l’anglais. Toujours avec ce même souci de diversité, on essaiera d’établir une certaine parité entre hommes et femmes au moment des entretiens. Enfin, en terme d’habitat, on essaiera de retrouver -au moins partiellement- une variété de situations urbaines.

  • 7 Et comment ensuite trouver puis échanger avec les animateurs, les « contributeurs », les visiteurs réguliers, les visiteurs occasionnels de ces blogs et forums (où souvent il y a une volonté de rester anonyme) et ce, en cherchant une représentativité raisonnable ? Une quinzaine d’entretiens suffira-t-elle à répondre correctement aux questions que se posent les chercheurs ?

Dans ces mondes, l’usage des pseudonymes est quasi général et la mise à disposition ou le téléchargement de musique peut être interprété comme un acte illégal, c’est pourquoi les demandes d’entretiens se feront de façon confidentielle. On contactera les blogueurs en utilisant les adresses emails qu’ils (elles) indiquent -lorsque c’est le cas- sur les pages d’accueils de leurs sites et/ou dans leur profil7. En ce qui concerne les forums, on prendra contact avec les personnes par le biais des “PM” (messages privés) qui permettent aux membres d’un forum de correspondre en parallèle. Grâce aux emails et au PM, il sera donc possible de dialoguer au préalable avec les personnes, de leur présenter le projet de recherche, ses objectifs et ses modalités. Ce mode opératoire laissera libre les personnes de refuser un entretien ou encore d’y réfléchir à loisir. Le cas échéant, on peut aussi envisager des entretiens par téléphone ou par l’intermédiaire de logiciels de chat tels que MSN. Bien entendu, on garantira à toutes les personnes l’anonymat et, si elles le souhaitent, on remplacera les noms des plate-formes qu’elles fréquentent et/ou animent par d’autres noms lors de la rédaction du rapport. Enfin, notre fréquentation depuis deux ans de nombreux sites ayant permis de tisser des liens avec certains animateurs et usagers, on espère que certaines de ces personnes se prêteront à l’exercice.
Dans un contexte où les échanges de musique en ligne concernent de très nombreux acteurs et sont l’objet de nombreux -et parfois très vifs- débats publics, on peut malgré tout penser qu’un certain nombre de personnes accepteront de raconter leur expérience, de détailler leurs usages, leurs échanges et de présenter leur point de vue. D’autant que les débats sur le téléchargement, le copyright, les lois sur le droit d’auteur etc. sont récurrents dans les blogs et les forums consacrés à la musique.

À propos de la représentativité du panel et des méthodologies mobilisées pour cette recherche
Cette recherche est -pour l’essentiel- menée avec des méthodes qualitatives. Ce parti-pris implique qu’outre les observations de type ethnographique et le recours à un outil informatique (cartes de réseaux), des entretiens approfondis seront menés. Si nous nous proposons d’interroger certains acteurs de ces mondes c’est pour mieux comprendre non seulement leurs motivations mais aussi -et peut-être surtout- les façons dont ils (elles) s’y prennent pour partager avec d’autres de la musique. Et pour ce faire, notre conviction est qu’il est nécessaire de s’approcher au plus près des personnes, de leur donner longuement la parole, afin de rendre compte de la complexité et la variété des déclinaisons que comme toute activité humaine, la blogosphère musicale génère. En ce sens, il s’agit moins de représenter de façon statistique une “réalité“ postulée unitaire que d’appréhender la variété des usages et des interactions. À partir de là, et sachant que chaque personne particulière utilise néanmoins des standards communs (une langue, un ordinateur, un serveur d’accès, des outils logiciels etc.) le pari est ici que les usages singuliers repérés nous permettent de repérer des points communs8.
Par ailleurs, les entretiens ne constituent qu’une partie des matériaux qui seront analysés et donneront lieu à la rédaction d’un rapport de recherche. Celui-ci s’appuiera également sur les observations menées en ligne (qui comprendront des dialogues entre internautes) et dans les salles de spectacles, sur les notes consignées dans les carnets ethnographiques, sur le résultat des analyses quantitatives des contenus mis en ligne réalisés avec RéseauLu et sur une somme de données non textuelles (interfaces graphiques, musiques, enregistrements sonores). Par ailleurs, on mobilisera également des observations établies sur l’ensemble de la blogosphère depuis plusieurs années. En sus,  la mise à disposition sur un mini site Internet de nombre des données brutes de l’enquête nous paraît favoriser non pas une hypothétique reproduction fidèle du terrain mais la traduction de sa diversité. Considérant la diversité des matériaux qui seront collectés et croisés, une vingtaine d’entretiens approfondis (une quinzaine de blogueurs et cinq responsables de lieux publics) nous semblent constituer une base de travail satisfaisante.

  • 8 Pourquoi n’interroger que des personnes habitant l’Ile-de-France ? Et les autres personnes, celles notamment qui peuvent venir en Ile-de-France, après être « passées » par un blog ou un forum, pour fréquenter un équipement ou un événement francilien ?

Dans la mesure où nous souhaitons comprendre les interactions entre les espaces numériques et physiques  et saisir les implications territoriales des pratiques en ligne, il nous semble logique de prêter attention à des personnes ou des plate-formes ayant des relations avec l’Ile-de France. De ce point de vue, le meilleur critère  de rattachement à la région est probablement la fréquentation. Ce paramètre permettra d’inclure aussi bien des internautes résidant et/ou travaillant dans la région que de personnes se rendant en Ile-de France par exemple à la suite de prescriptions en ligne.

  • 9 Pourquoi enfin y aura-t-il a priori autant d’hommes que de femmes qui seront interrogés dans la phase d’entretiens ? Il n’y a pas d’hypothèse relative à un possible effet de genre. La parité peut au contraire introduire un biais (mais dans ce cadre). Pourquoi ne pas se contenter de vérifier que l’échantillon ne sera pas exclusivement masculin quitte à analyser les raisons d’un éventuel déséquilibre ?

La question de la parité entre hommes et femmes et du genre
Dans notre réponse à l’appel d’offres, nous avons indiqué notre souhait d’interroger un panel constitué à parité d’hommes et de femmes. Cette volonté s’inscrit dans un mouvement général où l’on prend de plus en plus conscience que les femmes sont victimes de discriminations de tous ordres parce qu’elles sont des femmes. En proposant d’interroger et d’observer à peu près autant d’hommes que de femmes nous nous inscrivons simplement dans cette dynamique qui vise à donner aux femmes une place équivalente à celle que l’on accorde aux hommes.
Mais, ce parti-pris est également motivé par un deuxième objectif, à savoir d’étudier comment la technologie contribue à la différence des sexes ou à la dissipation (même relative) de cette différence. Pour aborder cette question, nous nous référons, d’une part, aux écrits de Judith Butler et, d’autre part, aux travaux d’historiennes ou de sociologues féministes sur la constitution et la diffusion des sciences et des techniques9.     Comme nombre de chercheuses féministes, Butler nous dit que l’on ne saurait réduire une personne à sa physiologie et que l’identité sexuelle résulte d’une construction. Rejoignant Erving Goffman10, l’apport de Butler est de montrer que cette construction n’est pas donnée une fois pour toutes mais qu’elle résulte d’une sorte de jeu de rôle sans cesse performé tant dans l’espace public que domestique, dans les représentations comme dans les théories. Réfutant l’essentialisme de certaines théoriciennes du féminisme, Butler affirme donc que le genre ne “tient” que parce qu’il est sans cesse remis en scène et que c’est cette répétition constante qui lui confère sa solidité mais aussi sa fragilité. Faisant écho à cette thèse, les travaux de Delphine Gardey, Ilana Löwy ou encore Danièle Chabaud Rychter, ont détaillé, à partir de toutes sortes d’entrées, comment la technologie servait de support à la “genderisation” des individus 11. Ainsi, la masculinité se définit en grande partie par la capacité à maîtriser (et à monopoliser) des objets techniques tandis qu’à l’inverse “être une femme” se caractérise le plus souvent par une extériorité à la technologie. Dans la mesure où cette enquête s’intéresse précisément à la diffusion et à l’usage des technologies numériques (de l’ordinateur personnel en passant par le logiciel de navigation jusqu’aux outils de gestion d’un forum de discussion ou d’un blog), nous nous proposons donc d’observer si la différence entre les sexes se manifeste et/ou s’amoindrit sur les blogs et les forums. Pour cela, on s’intéressera non seulement à la façon dont les femmes et les hommes se manifestent, se représentent (notamment les uns aux autres) dans les plate-formes mais aussi aux dialogues qui s’y déroulent.
En conclusion, s’il s’avère difficile de réunir un panel composé d’autant de femmes que d’hommes, notamment parce que les hommes sont plus présents sur les plate-formes étudiées, on ne se dispensera pas de mener à bien cette partie de la recherche consacrée aux “effets de genre” sur les blogs et les forums musicaux.

François Ribac et Jean-Marc Leveratto